La Société d'Art et d'Histoire de Sarlat et du Périgord Noir

 
BULLETIN n°168 - 1er trimestre 2022
Sommaire des bulletins

        

Le Périgord Noir, principal décor de Jeannou

Le bulletin 168 d’Art et Histoire en Périgord Noir, premier trimestre 2022, bulletin de la Société d’Art et d’Histoire de Sarlat et du Périgord Noir (SAHSPN), vient de paraître.

Historiens, généalogistes ou autres connaissent bien la valeur des fonds notariés. On y retrouve les ancêtres, leur environnement matériel et une masse de remarques, de détails qui animent soudain cette foule disparue. Lorsque la lecture est attentive, il est possible de reconstituer la société d’Ancien Régime dans son ensemble, d’y voir ce qui la divisait. Jean-Jacques Deviers remarque ainsi qu’en Salignacois, au début du XVIIIe siècle, parmi les paysans ou la petite bourgeoisie, les dots ne dépassaient guère les 200 à 300 livres. C’était bien peu en comparaison des sommes consenties pour le même objet par la noblesse qui versait de 2 000 à 30 000 livres. Pour le moins, cette société très pauvre, toutes classes confondues, était fortement inégalitaire, une réalité qui émerge lorsque le chercheur a le courage de parcourir la masse considérable de ces fonds.

Aujourd’hui, Léon Poirier est un cinéaste oublié, auteur de neuf films mêlant fiction, ethnologie et observation des cultures rencontrées qu’elles soient primitives ou rurales lorsqu’en 1938, il s’installe à Urval. Il y découvre une population périgourdine encore solidement attachée à ses traditions et y conçoit le film Jeannou, une œuvre réalisée pendant l’été 1943, en décor naturel, parmi des paysans qui s’adressent aux châtelains dans la langue du pays. L’histoire est très simple : jeune fille de la noblesse, Jeannou vit en Périgord, attachée à son passé et à ses traditions, mais elle s’y ennuie souvent. Lorsqu’elle rencontre un jeune ingénieur, elle le suit à Paris où loin des siens, elle éprouve la nostalgie de son pays. Elle décide de revenir pour toujours dans la maison de ses ancêtres. Le tournage en pleine guerre et en extérieur ne fut pas facile pour les techniciens et après la guerre, le film fut qualifié de « pétainiste ». En effet, il oppose Paris, lieu de perversion, à un monde rural sans détours, ancré dans des traditions d’honneur et de service assez éloignées des combinaisons financières dévastatrices de Frochard, l’un des personnages du film. Qu’en est-il véritablement ? Il est certain que cette vision de la campagne ressemblerait beaucoup à la propagande pétainiste s’il n’y avait cette présence constante de la ruralité la plus authentique, une réalité non réductible aux poncifs du discours idéologique.

Très tôt attiré par la littérature et étudiant en droit, Albéric Cahuet fut l’auteur d’une thèse sur « la liberté du théâtre en France et à l’étranger », un texte hostile à la censure dramatique. Armé de ce solide bagage intellectuel, il oscille dès lors entre sa carrière de juriste et le journalisme qui devient son activité principale lorsqu’il entre à L’Illustration, en 1907. Pendant cette période, A. Cahuet écrit également des ouvrages d’histoire ; il s’essaie au théâtre puis au roman. La guerre de 1914-1918 bloque un moment cette carrière littéraire, car il est mobilisé et sert comme officier d’état-major. Il est heureusement épargné et en 1920, à 43 ans, il entame la période la plus riche de sa vie d’écrivain avec des romans ayant comme toile de fond le Périgord, son pays natal. En 1937, il publie Pontcarral, un roman qui connut un succès considérable et dont Léon Daudet écrivit qu’il y planait une atmosphère analogue à celle des Chouans de Balzac, portrait d’un personnage frappé par les injustices de l’histoire, mais demeurant ferme dans ses principes. C’est certainement cet aspect de l’œuvre qui fut à l’origine du succès de son adaptation cinématographique, car les allusions à la Résistance étaient évidentes ; elles galvanisèrent le public lors de la première. Quant à Albéric Cahuet, l’ancien combattant désespéré du sort réservé à la France par l’occupant, il ne put jouir de la renaissance de son pays : il venait de mourir à Lyon le 31 janvier 1942, dans une sorte d’exil finalement assez proche de son personnage, le colonel Pontcarral dont la puissante silhouette hante encore les collines du Sarladais.

Olivier Royon

 

 


L’affiche « bleue » du film Jeannou (© Internet)

On peut se procurer ce bulletin à l’espace Culture du centre Leclerc ou à la Librairie-presse du centre commercial Carrefour de la Croix-Rouge, à Sarlat, ainsi qu'à la mairie de Saint-Martial-de-Nabirat. Il est toujours possible de s’abonner ou de se procurer les anciens numéros en s’adressant au secrétariat de la société : Société d’Art et d’Histoire de Sarlat et du Périgord Noir, B.P. 47 24201 Sarlat Cedex.

 

       


 

 

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